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La danse des mains

 

Mains relais de l’invisible qui tissent de mystérieux chemins entre l’imaginaire des artistes et leurs oeuvres d’éternité,

Mains vides ou pleines des désirs qu’elles créent,

Mains tendues, nues ou fardées aux souvenirs des palettes,

Mains qui se nouent et s’enlacent,

Mains demandées et offertes,

Mains qui se donnent et se refusent,

Mains qui caressent et  modèlent  ses chimères,

Mains miroirs des destins d’une vie,

 

C’est sur le thème de la main magnifiée que le photographe marocain Zarhloul et Véronique Marie, une peintre héraultaise, ont travaillé conjointement, associant leurs regards pour concevoir, par étapes, des compositions complexes et sensuelles d’une grande force évocatrice.

Lors d’une première rencontre, Zarhloul photographie leurs mains respectives apposées en un jeu magique d’ombres et de lumières sur certains tableaux de la peintre. Des centaines de photos de mains, entières ou déformées, nues ou masquées ont ainsi été réalisées.

Puis, à partir de certains de ces clichés initiaux, chacun a réinventé son univers…

 

A travers cette étonnante mise en abîme du travail même de la création, deux cultures différentes, deux itinéraires artistiques s’entrecroisent et fusionnent.

Et ces empreintes, superposées sur les tableaux de l’artiste comme les mains des chamans préhistoriques appliquées sur les parois secrètes des grottes millénaires, développent un langage original qui rallie d’ancestrales traditions symboliques.

Selon les civilisations, les diverses représentations des signes de la main sont en effet porteuses de messages spirituels ou de codes de pouvoir. Mains emblématiques de Dieu, gauche pour la justice, droite pour la miséricorde. Main bénissante de la puissance sacerdotale. Main de justice médiévale, insigne de la monarchie française. Mudrâ bouddhistes et hindouistes qui codifient pensées et rituels; “danses des mains”, danses rituelles de l’Asie du Sud; mains liées à la mort dans l’iconographie précolombienne d’Amérique centrale…

Traversant tous les âges, exprimant attitudes intérieures et méditations, suprématie ou messages politiques, les mains s’exposent et transmettent par leurs gestuelles une histoire cryptée que chacun  interprète selon ses lois…

 

Est-ce parce qu’il  vient  d’un pays qui vénère la main protectrice de Fatma que Zarhloul puise en elles son inspiration ?

Surimprimées sur les créations qu’elles engendrent, les mains de Zarhloul nous parlent autant de matière que d’idée. La chair se révèle au plus près, en très gros  plans. Le photographe tente-t-il de percer le mystère de leur énergie créatrice ?

Mais lorsqu’il les enferme dans des boites rappelant les “lanternes magiques”, théâtralisées par une scénographie originale et ludique, elles deviennent d’oniriques icônes laïques….

 

Est-ce parce qu’elle est, dans son art, impliquée dans une démarche mystique, que Véronique Marie transfigurent ces mains pour en faire les balises d’une nouvelle voie cherchant la lumière ?

Remises en scènes dans de nouvelles toiles, par collages, enchâssées de couleurs  puissantes et crues, la peintre métamorphose ces mains en guides et aucune de ses compositions fièvreuses, singulières, ne laisse indifférent.

Certaines perturbent lorsqu’elles surgissent, fantômes de l’ombre, d’un chaos de couleurs sombres et violentes…

D’autres, lumineuses et sereines,  émeuvent…. Quand, rédemptrices,  elles semblent signaler à notre monde chahuté un autre chemin, vers le Haut…  Quand elles s'amarrent, s’unissent, s’abandonnent ou se retiennent dans une sensualité instinctive et magnifiée par un environnement alors apaisé et harmonieux…

Comme des fenêtres ouvertes sur les routes du doute et de l’espérance, ces toiles transposent avec pudeur les bonheurs et douleurs qui jalonnent toute vie.

 

 

Issue de deux sensibilités distinctes mais complémentaires qui se sont mises à nu, cette fascinante galerie de portraits de mains projettent avec force aux regards du spectateur un langage visionnaire et allégorique, composant un message d’une lecture universelle où les multiples étapes de l’existence peuvent trouver leur résonance.

 

 

 

Sophie Laboucarié

 D3 "Manu militari"

 Journal économique et socio-culturel marocain

Tanger - Mars 1999

 

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